La petite histoire du patchwork au Québec

1 Août

La petite histoire du patchwork au Québec


Voilà bientôt 15 ans que je me fascine devant l’univers du patchwork.  Je côtoie des courtepointières quotidiennement et je rencontre également des gens qui retrouvent des courtepointes dans leurs greniers et me les présentent pour savoir quoi en faire.  Je me suis toujours sentie privilégiée lorsque l’on me faisait part de telles découvertes et cela m’a permis également de mieux comprendre l’existence de la courtepointe au Québec.

Effectivement, on pourrait croire que la courtepointe est arrivée récemment.  Mais cela ne peut être plus faux.  L’art de la courtepointe nous est parvenu peu après la colonisation du Québec.   J’insiste sur le fait que ce soit peu après car au début, nous retrouvions presqu’exclusivement des hommes et ses derniers vivaient difficilement sur les terres.  Leur lit était plutôt recouvert de fourrures pour faire face au froid intense de nos hivers.

La fabrication de courtepointes à cette époque est le produit des dames de la bourgeoisie et de la petite noblesse, il faut donc attendre que ses dames se déplacent dans la Nouvelle-France. Ce n’est qu’en 1679 que l’on retrouve le premier acte notarié indiquant que Monsieur François Provost et Madame Geneviève Macart possèdent une courtepointe.  Mais pourquoi est-ce si tard dans la colonisation?

Pour débuter, il y a le problème d’approvisionnement des ressources, dans ce cas les tissus.  Il faut d’abord importer les tissus d’Europe et cela est considéré un produit de luxe.  C’est en 1665 que l’intendant Jean-Talon encourage la fabrication de tissus domestiques en distribuant des métiers à tisser.  Ainsi débute tout doucement l’origine de la courtepointe au Québec car les fermières peuvent meubler les longs hivers en tissant pour ensuite coudre les vêtements puis des courtepointes et ensuite des catalognes avec les retailles.

Nous connaissons bien la suite, c’est la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques puis la division de la colonie en deux créant ainsi le Haut et le Bas-canada.  Par la suite il y a l’indépendance des États-Unis et l’arrivée des loyalistes au Québec, la plupart s’installent près des frontières dans la région qui se nomme aujourd’hui les Cantons de l’est.  Quel est l’impact de la courtepointe au Québec?  Il y a des échanges de connaissance. 

Nous pouvons retrouver plusieurs textes de cette époque qui indique que les maisons québécoises possèdent une courtepointe sur chaque lit.  La femme du premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, John Graves Simcoe, passe son premier hiver à Québec et y achète des courtepointes pour meubler leur future maison à York (aujourd’hui connu sous le nom de Toronto).

Cependant de cette époque, il ne reste que très peu de courtepointes.  Nous retrouvons au Musée McCord une courtepointe datant de 1726 (photo de gauche) mais elle provient d’Angleterre et a traversé l’Atlantique en même temps que ses propriétaires.  Nous retrouvons aussi au Musée des Maîtres et Artisans du Québec une courtepointe datant du 19ième siècle  (photo du haut) du style pointes folles.  Pourquoi si peu de trace?

un log cabin au musée du château Ramezay

Ma première hypothèse est que les femmes ont fait des courtepointes dites utilitaires, leur but premier étant d’être mise sur le lit pour tenir au chaud les membres de la famille.  Il est donc tout à fait probable que ses pièces aient été utilisées jusqu’à leur usure naturelle et donc qu’il n’en reste que quelques rares exemples aujourd’hui.  De ce que j’ai pu constater dans les collections privées, il y avait beaucoup de courtepointes dites traditionnelles, avec des morceaux de tissus cousus ensemble pour former des dessins géométriques.   (photo de droite prise au musée du château Ramezay, par une blogeuse française en 2013)

Cependant ce que nous retrouvons dans les musées et livres sont les courtepointes de style appliqués ou pointes folles. Celles-ci étaient créées à partir de chutes de tissus (retailles) et demandaient plus de réflexions.  Les appliqués étaient surtout conçues pour commémorer un évènement spécial tel qu’un mariage.  Elles étaient également plus fragiles, donc demeuraient une courtepointe d’apparat.  Ainsi elles étaient moins utilisées et donc ne se sont pas usées et c’est pour cela que l’on retrouve ce style en si grand nombre dans nos archives.

Donc, les courtepointes qui sont resté au Québec se sont usées et ont disparues.  Cependant, je crois aussi qu’un grand nombre de pièces ont migrées vers l’Ouest Canadien ainsi que les États-Unis.  Mais cela reste difficile à prouver car la plupart des artistes ne signaient pas leurs œuvres.  Mais je suis persuadée que plusieurs courtepointes dans les musées américains proviennent du Québec.  J’ai pu retracer grâce à Madame Jean Burkes, la curatrice du Musée de Shelburne située au Vermont, une œuvre québécoise: une Étoile de Bethléem faite par Marie Marin de Saint Pie, Québec, datant de 1870-1900.    Je peux donc affirmer qu’il y avait au Québec dès le début du 19ième siècle une production de courtepointes aux styles variées puisqu’on retrouvait des pratiques provenant de la France, de l’Angleterre ainsi que des loyalistes.

C’est au 20ième siècle que cela se complique.  Tout d’abord il y a la première guerre mondiale, puis en 1930 c’est la crise économique ou l’on voit plusieurs familles québécoises quittées leur terre pour aller travailler aux États-Unis.  Il y a donc une migration de la confection de courtepointes québécoises vers la Nouvelle-Angleterre.  Toujours au Québec, il y a la deuxième guerre mondiale et par la suite la révolution tranquille.  On quitte les terres agricoles pour s’installer en ville.  On rejette tout ce qui a été enseigné dans la campagne, les femmes commencent à travailler et souhaitent acheter tout fait!  Donc la courtepointe commence à être perçue différemment.  Et c’est dans ce tourbillon que naît deux visions qui vont définir la courtepointe du Québec d’aujourd’hui.

C’est en 1906 qu’un groupe de dames anglophones, de la Woman Art Society, fait un voyage en Gaspésie et constate la richesse des arts domestiques, incluant la courtepointe.  Dans le but de promouvoir l’artisanat et de permettre les activités créatrices, elles fondent une société à charte : The Canadian Handicrafts Guild.  Nous retrouvons encore aujourd’hui, à travers le Canada, des guildes qui sont dédiées à la courtepointe.

En 1915, deux agronomes québécois lancent l’idée de créer des groupes de fermières  pour enseigner les notions d’économie domestique.  Ainsi naît le premier Cercle de fermière à Chicoutimi.  Ils invitent donc les femmes à créer des fédérations de Cercle de fermière, et nous retrouvons toujours au Québec des fédérations qui sont dédiées à l’enseignement des arts domestique tel que la cuisine, la couture, le tricot, la catalogne et la courtepointe.  La courtepointe n’est pas perçue comme une création artistique mais plutôt comme une pièce utilitaire.

Quand les groupes ont été fondés, il faut comprendre que les guildes étaient véhiculées par les anglophones et les Cercle de fermière par les francophones.  Ceci a donc limité les échanges de connaissances et avec les réalités économiques les Cercle de fermière ont délaissé la courtepointe alors que les guildes ont innovées.  Et lorsque nous regardons les courtepointes lors d’expositions au Québec, nous pouvons vite constater de quelle idéologie provient l’artiste.

À propose de l’article:  J’ai écrit cet article l’an dernier pour le magazine Européen Pratique du Patchwork.  Ayant conservé les droits d’auteur je me permets de le publier après 6 mois afin qu’il puisse être disponible au Québec.

2 Comments

  1. Merci pour cet article bien informatif. J’ai fait quelques recherches de façon amateure pour trouver un catalogue de courtepointes tangibles. Il existe le catalogue de l’université Concordia mais il n’est accessible que dans le cadre de recherches professionnelles. Donc, en effet, le réflexe naturel est de se rendre à Shelburne.

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